Retour sur la grippe H1N1 : une véritable pandémie cartographique !

Publié le par gazettedugeographe

 

    L’exemple de la grippe A (H1N1) montre comment une crise de niveau peut mener à  un processus de multiplication cartographique, et par là même une multiplication des erreurs induites par leur réalisation. Cela soulève la question de la cartographie des phénomènes d’actualité « à chaud » avec les problèmes que cela peut poser. La subjectivité de l’information et le contexte dans lequel elle est traitée peuvent prendre la forme d’une manipulation des données utilisées, de leur traitement et de leur visualisation de manière volontaire ou non.

 

    La « grippe porcine », rebaptisée grippe A (H1N1), est apparue en mars 2009 et a été élevée au rang de pandémie par l'Organisation  Mondiale de la Santé (OMS) le 11 juin 2009. M. Chan, en relevant l’alerte au niveau six (degré maximal) en raison de l’extension géographique de la grippe, a provoqué sans le vouloir une « pandémie cartographique ». Cela s'explique notamment par les dispositions drastiques prises par de nombreux Etats au nom du principe de précaution. Même si avec le temps vient la phase de la déception concernant la surestimation de la pandémie grippale, il n’en est pas moins que par son caractère imprévisible (car mal connu) il était nécessaire de prendre ces mesures. En outre, au delà de la difficulté à gérer le risque objectif (en raison du manque de connaissances scientifiques sur cette grippe), les politiques doivent gérer le risque subjectif (créé par l'imaginaire collectif autour de la menace) par la communication et la gestion des craintes. Ce risque subjectif a été le vecteur de la profusion cartographique.

 

Ainsi, depuis l’annonce de la Directrice de l’OMS le 11 juin 2009, une multiplication des cartes a vu le jour sur tout le globe. Le Web 2.0 permet désormais d’échanger des informations en temps réel dans des situations de crise notamment. Le suivi quasiment en direct du phénomène grippal à travers le Monde sur Internet a permis aux personnes (spécialistes ou non de la grippe H1N1) via des blogs ou des sites de parler de cette crise sanitaire. La carte, comme outil de représentation privilégié des données, est donc devenue incontournable dans la diffusion des informations sur la pandémie. Des auteurs comme M. F. Goodchild et al. (2007) ou M. Haklay  (2009) parlent volontiers de « l’Information Géographique Volontaire » (ou IGV) pour désigner ce phénomène par lequel des personnes échangent des informations géographiques et dont la pratique a grandi exponentiellement ces dernières années avec la vulgarisation d'Internet et la croissance des technologies liées à l’information géographique. L'histoire de l’IGV montre comment on est passé des gouvernements nationaux (qui étaient les principaux fournisseurs d'informations géographiques), aux réseaux informels quelque peu chaotiques contemporains des producteurs et des consommateurs d’Internet c’est à dire aux citoyens. A ce type de « nouveaux producteurs de cartes »[1][1] viennent s’ajouter les producteurs plus classiques tels que les médias ou bien encore les organisations sanitaires qu’elles soient nationales ou internationales.

 

A la multiplicité des auteurs de cartes vient s’ajouter la multiplicité des types de cartes. On peut expliquer cette dernière à la fois par la diversité des producteurs et le caractère des données récoltées. Revenons sur cette deuxième explication. Avec la profusion de l’information en la matière, souvent biaisée, une réelle confusion a régné dans les données publiées. Or, ces dernières sont à la base de tout travail cartographique. L’hétérogénéité des sources sur lesquelles se sont fondées les producteurs de cartes sur la grippe A (H1N1) a fait que ces dernières se sont avérées pour la plupart peu fiables et nous verrons pourquoi. D’abord, la qualité de la collecte des données est fonction de la qualité du système sanitaire national. Dès lors, l’harmonisation de ces données à l’échelle mondiale semble très complexe. Ensuite, la définition même des symptômes de la grippe A (H1N1) ne se différencie guère d’une grippe saisonnière classique. Le seul moyen d’être sûr qu’il s’agissait bien de la grippe A (H1N1) était de réaliser un test de dépistage dont le coût en France s’élevait à 250 €. On peut rester là encore circonspect quant à la qualité des données sur l’affirmation exacte du nombre de cas réellement avérés ayant contracté cette pandémie grippale étant donné la faiblesse du nombre de tests réalisés. Enfin, à la complexité de la quantification et de la qualification des cas suspectés vient s’ajouter la profusion des sources d’informations pouvant provenir d’organismes ou bien de simples citoyens. La fiabilité des données laisse donc perplexe dans ce contexte de crise sanitaire. Quelle confiance accorder à un assemblage de données venant de sources disparates et à une précision aussi hétérogène ? Il y a donc à la base des cartes de statistiques sanitaires déficientes posant un problème sur le rendu cartographique en lui-même. Qu’est-ce qui est cartographié et qu’est ce qui peut réellement l’être ?

 

Lorsque l’on étudie le type de cartes produites pour informer sur un phénomène global tel que la grippe A (H1N1), on observe très rapidement qu’il se dessine une multiplication des représentations cartographiques que l’on pourrait quasiment toutes caractériser par le terme de « cartes alertes ». On remarque les dangers de ces cartes dont le seul objectif est de « démontrer » aux populations qu’elles sont susceptibles d’être « gravement » touchées par cette grippe et qu’il faut prendre en conséquence des précautions dictées par les organismes et les gouvernements. Or, si le but d’une carte peut être celui d’informer, il doit être aussi de comprendre le phénomène dans son ensemble, d’en expliquer sa structure et sa dynamique. Et les cartes de localisation et de diffusion de ce qui a été annoncé comme une pandémie, ont fleuri comme jamais des cartes d'actualité se sont propagées sur Internet.

 

 

 

 http://www.la-croix.com/mm/illustrations/Multimedia/Actu/2009/8/27/carte-grippe-a.jpg

 

 

http://www.lesechos.fr/medias/2009/0807//300368048.jpeg

 

 

http://www.supergelule.fr/wp-content/uploads/2009/07/carte_grippe_a_h1n1.jpg

 

http://www.who.int/csr/don/Map_20090624_0600.png

 

 

http://www.ya-graphic.com/wp-content/uploads/2009/05/flutracker.jpg

 

http://www.grippe-porcine.info/wp-content/uploads/2009/11/carte.png

Cette sélection de représentations cartographiques de la pandémie grippale par divers auteurs montre comment la carte est bien une représentation de la réalité voire une perception de celle-ci. Loin d’être neutre et fidèle au terrain, la carte laisse voir à son lecteur ce que son producteur ou son commanditaire veut montrer, de manière consciente ou inconsciente. Elle n’est donc qu’une image partiale, incomplète et parfois manipulée. La légitimité parfois absolue (surtout lorsqu’elle est estampillée par des organismes reconnus ou bien encore des Etats ou des collectivités locales) à laquelle on veut nous faire croire n’est parfois qu’un nuage de fumée. Par ailleurs, dans le cadre de notre exemple, on s’étonne que les sites officiels tels que l’OMS n’aient pas publié de données cartographiques au jour le jour sur la pandémie. Disposant des outils techniques fiables et formalisés, elle aurait pu produire des cartes de référence et donc limiter la fièvre cartographique à laquelle nous avons assisté.  

 

En raison de l'exagération des émotions qui constitue le principe de précaution, il tend à placer la société dans une situation de crise, d'urgence permanente comme nous avons pu le constater avec la grippe A (H1N1). Si l'intérêt du Web 2.0 ne paraît pas devoir être remis en cause, il s'accompagne néanmoins de contraintes (accès à des données fiables) et d'exigences (qualité des réalisations cartographiques) un peu trop souvent mésestimées voire totalement oubliées par les internautes. La cartographie assistée par ordinateur a permis de rendre accessible le travail cartographique au plus grand nombre. Cependant, on peut s’interroger sur les principes de construction cartographique (maîtrise technique, graphique et réflexive) nécessaires pour réaliser une carte. L’insuffisance de contrôle qu’ont les citoyens mais aussi les organismes et les collectivités sur les bases de données géographiques en situation de crise reste un réel problème sur le travail cartographique réalisé par la suite. La grippe A (H1N1) démontre bien la difficulté de récolter des données fiables et de qualité, donc cartographiables dans des situations où l’actualité est « à chaud » notamment dans le cadre de conflits, de crises environnementales ou sanitaires.

 



[1] que l’automatisation de la cartographie a permis. 

 

 

 

 

S.B. 

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